Chooz, le prix de l’atome

Nappé de brouillard, niché entre deux collines, apparaît le petit village de Chooz, 750 habitants. Situé à moins de deux kilomètres de la Belgique, ce bourg des Ardennes est une composante de la pointe de Givet, petit territoire qui s’enfonce dans les Ardennes belges sur 25 km. Une église, une boulangerie, une école animent un village enveloppé par la vapeur blanche de sa centrale nucléaire.

Dans ce petit village au cœur des Ardennes, l’installation dans les années 1980 d’une centrale EDF a bouleversé la population et modifié en profondeur le tissu social. Entre richesse et dépossession.

Chooz n’a pourtant pas toujours été ce village tranquille, presque sans histoire. « Nous étions en guerre », raconte Claude, 87 ans. De 1979 à 1981, lors des réflexions sur l’implantation de la centrale, dite Chooz B, le village se transforme en bastion de la lutte antinucléaire français. « On ne voulait pas de la centrale chez nous. On ne savait pas vraiment de quoi il s’agissait. Des gens sont arrivés d’ailleurs, de Paris, pour nous expliquer, et on a compris. On s’est battu, c’était très chaud. Et pourtant j’ai fait l’Algérie. » 

« L’âme de petit village a disparu, l’argent les a tous achetés », souligne un habitant. L’alignement des chiffres permet de prendre la mesure de l’assise économique de Chooz. Le budget représente environ 10 000 euros par habitant quand il est de 2 000 euros pour la Ville de Paris et de 400 euros pour Novy-Chevrières, village de la même taille situé à moins de 70 km. En 2019, elle se classait à la 58e place sur près de 35 000 communes. Le village propose, outre un accès à Internet et à des services postaux, une panoplie d’aides à la personne. Quand on interroge le maire actuel sur le nombre d’agents municipaux nécessaire à la fourniture et au maintien de l’ensemble de ces services, il répond en souriant : « Beaucoup. » Chooz dénombre une quarantaine d’employés municipaux, soit plus d’un fonctionnaire municipal pour 20 habitants. La ville dispose de deux terrains de foot, deux terrains de tennis, un terrain de basket, un gymnase, une salle polyvalente avec dojo et salle de musique, des aires de jeux, des salles de fêtes et de réunions, une salle de « découpe » pour l’association de chasse, un spa, avec hammam et jacuzzi, une médiathèque, un foyer pour personnes âgées, un terrain de bicross et une aire de fitness « connectée ». 

Didier Lambert est né ici. À 59 ans, il est le dernier agriculteur du village. Tous les mois, EDF vient analyser le lait de ses vaches. « Tout va bien dans les rapports, il n’y a qu’après Tchernobyl qu’un pic anormal a été constaté. » Son père et ses deux oncles ont perdu une partie de leurs terres lors des expropriations. « Ils n’ont pas eu le choix de toute manière, mes deux oncles ont même dû arrêter leur activité agricole. » Il a rencontré sa femme ici alors qu’elle suivait ses parents venus travailler à la centrale. Aujourd’hui, ils songent à vendre l’exploitation et à prendre leur retraite. Mais ils craignent de ne pas trouver de repreneurs. Car il ne s’agit plus du petit bourg tranquille des années 1980. L’installation de cette centrale a transformé Chooz.